LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

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LE SONGE DE L'AVIATEUR, piste 2

 

Sommaire

 

 

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Cave au trésor

 

Ça m'a pris juste après le café.

L'envie de commencer à faire le vide dans la cave.

Ce n'est qu'une première étape, mais il y a rapidement eu de quoi remplir une pleine bagnole de tout un tas de trucs à balancer.

Sauf, un carton avec dessus l'inscription "Écrits de jeunesse".

 

Dedans, des recueils de nouvelles, des débuts de romans, un entier, un carnet de voyage, les fragments d'un journal. De quoi construire quelque chose et faire dialoguer passé et présent. De quoi me remettre à écrire. De quoi feuilletonner quelque temps.

De quoi habiller les soirées à venir.

 

Rien n'arrive pas hasard, pas vrai?

 

Journal    (2006)

 

 

 

 

Elle s'est racontée tout de suite.

Au premier rendez-vous.

Enfant de la guerre du vietnam.

L'Asie, l'Afrique et l'Amérique lui ont offert le plus beau des visages.

Aussi beau que les mots qu'elle prononce.

C'est une femme fragile et de grand courage.

Une combattante aux ailes transparentes.

Entre ciel et terre, elle fuit la colère et les violences.

Blessures d'une première enfance dont elle n'a aucun souvenir.

C'est ainsi que je l'aime.

 

Au rythme d'une marche délicate. Nous avançons.

Sous le vent sombre de mon divorce.

Elle est entrée dans la désolation de ma vie.

Elle a pris ma tristesse et l'a jetée dans le grand feu de son amour.

Avec elle je suis devenu l'homme que je suis.

Fier d'aimer et d'être aimé à nouveau.

 

 

 

Journal   1994 - 27 ans

 

 

J'ai longtemps laissé la parole aux autres.

Depuis tout môme. Comme ça. Par abandon. Timide, sûrement. Fier, aussi. La peur de dire une connerie. Et puis le silence finit par ne plus vous lâcher. On devient Un solitaire. La vie se fait long roman. Une dangereuse séance de cinéma.

 

À force de regarder. A force d'écouter On devient curieux.

Et puis le silence vous invite de l'autre coté. Là où se range tout ce qui ne se dit pas. On peut alors s'asseoir tout près du désespoir. Et le regard se met à descendre profond. Là où on ne voit plus la lumière. On y trouve un trésor La compassion. Taisez-vous. Ecoutez. Ca pleure.

 

J'ai toujours préféré écouter.

Ceux qui parlent beaucoup ignorent souvent ce qui saute aux yeux.

Et ce, depuis le début du monde. C'est  un peu le problème.

Alors dans la tête se dessinent le nord, le sud, l'est et l'ouest

Et, même taiseux, on finit par donne son avis

On se dit qu'ils entendront bien quelque chose

Et voilà pourquoi.

Et voilà comment.

 

Au bout d'un moment on vous repère.

C'est inévitable.

Votre analyse compte, finalement.

 

 

Depuis ce matin, j'ai cette carte dans mon portefeuille

Arrivée par la poste.

Mon premier boulot avec un peu d'avenir derrière.

 

Journaliste.

Je suis journaliste.

 

 

 

Carnet de voyage - À chaque île, son roman   (1993)

 

 

Je suis arrivé.

La chambre est simple mais propre et confortable.

Une petite table pour bureau. Ma propre cuisine et une douche.

J'ouvre ma valise et vide mes poches. Il me reste une cigarette. Le lit exhale encore son parfum de lessive. Les fenêtres ouvrent sur la terrasse, le ciel et la mer. C'est bon de fumer, ici. Dans le sens du vent.

 

Le soleil mord l'horizon.

Le port tout entier s'embrase. La lumière, comme remontée des filets, éclabousse les quais, la ville et s'éparpille en flammes sur les collines.

 

Mon hôte apparaît à l'autre bout de la terrasse.

Son visage massif, son regard franc et direct m'inspirent confiance. Je l'ai repéré dés que je suis descendu du bateau. Il était le seul à se tenir à l'écart. Derrière un fouillis de pancartes et écriteaux. Chambres à louer. Bons prix. Vue sur mer.

Une poignée de main et l'affaire était conclue.

 

Il me montre les collines.

Nous restons un moment, lui et moi à regarder finir le jour.

Puis, la ville s'allume. Le monde recommence à gronder. Je marche le long du port jusqu'au fort. Un paquebot a jeté l'ancre. La blancheur de la coque tranche sur le bleu de la rade et l'ocre des murailles.

 

Une foule de touristes a envahi les terrasses des cafés et des restaurants. Au dessus du chaos des klaxons et des moteurs le manteau sombre du paysage trône, indifférent au tumulte de la ville. Enfants et vendeurs à la sauvette proposent leurs souvenirs.

Une avenue s'ouvre devant moi.

Quelqu'un m'interpelle. C'est un chauffeur de taxi qui s'est arrêté à ma hauteur. Son expression hilare se ferme dés mon refus. Il s'élance pour stopper cent mètres plus Loin. Un couple d'européens et leur petite fille embarquent. Une odeur de poisson grillé me creuse l'estomac. Je n'ai rien mangé depuis ce matin. Une vieille femme me fait signe d'entrer. J'échappe au courant de la rue et je la suis le long d'un profond couloir. D'étranges figures ornent les murs. Comme des serpents géants enroulés autour de navires perdus. L'océan, furieux, ressemble à une une folle chevelure. Une puissante odeur d'encens me monte à la tête. J'entends les bruits de la salle. Eclats de voix et de couverts. Nous pénétrons au cœur d'un vaste patio éclairé aux flambeaux.

 

 

Au coeur du jardin un arbre gigantesque couvre la nuit.

Trois étages de tables scintillantes s'élèvent au dessus de nos têtes.

Un tapis au rouge fatigué trace le chemin entre les tables.

La vieille me tend la carte.

 

J'ai d'abord envie de boire.

Un alcool du cru. Elle s'éloigne en adressant un geste autoritaire à un des serveurs. Il ne semble pas avoir plus de 16 où 17 ans. Le garçon hoche la tête frénétiquement et file au pas de course. Derrière moi, une femme éclate de rire. Je jette un coup d'œil discret en retirant ma veste. Autour d'elle, trois hommes fiers et gras la dévorent des yeux. Ce qui ne semble pas l'ennuyer. Une brise légère vient bruisser dans les ramures et caresse mon visage.

J'ouvre mon boîtier à cigarette.

À la table d'en face, une famille d'européens fatigués dîne en silence. Le père porte lentement sa fourchette à sa bouche. Il mâche sa viande les yeux dans le vague. Sa femme n'a d'yeux que pour ses enfants. Elle leur fait signe de finir leurs plats et parvient à libérer un sourire. Je souffle ma fumée vers le jardin. Mes pensées glissent comme une eau calme. Je repense à mon hôte et cette impression rare de force et de bonté mêlées que j'ai ressenti en lui serrant la main. Un sourire net avec ce soleil jouant dans le gris de sa barbe.

 

Me revient une image. Sur le port une femme du pays entourée de ses enfants attend le client derrière son étal à bijoux. Sur son visage, une étrange expression. Comme si elle avait disparu.

 

Voici mon verre.

Je demande conseil au garçon pour la carte. Il ne comprend pas un mot.

Je choisis au hasard. Il place alors la main devant sa bouche. C'est un plat visiblement très épicé. Du pouce je lui indique que cela me convient. Son visage s'éclaire. Il laisse échapper un rire complice avant de jeter un coup d'œil inquiet derrière lui. La patronne semble lui inspirer une terreur sans nom.

 

L'alcool est doux et légèrement sucré.

J'ai par instants la sensation d'être encore sur le bateau. Sentir le dos de la houle rouler sous la coque. Les images de la traversée défilent de nouveau. Je suis parti depuis si longtemps à présent.

Une femme se tient devant moi. Embarrassée. Elle parle français sans accent. Une touriste. Tout comme moi. Sa beauté m'intimide. ...

- Je peux vous demander une cigarette ? J'ai oublié les miennes à l'hôtel ...

 

J'ouvre mon boitier.

Elle s'en saisit avec la grâce d'une reine.

Sa peau est matte. Son visage passionnant. Elle me remercie et porte la cigarette à ses lèvres. Ses grands yeux noirs se plissent tandis que je porte la flamme de mon briquet à sa hauteur. Elle m'offre un sourire et regagne sa table comme dans un songe.

 

Elle n'est qu'à deux tables devant moi. Personne ne semble l'accompagner. J'aperçois la courbe délicate de son épaule se détacher de la lourde silhouette du père de famille. J'attends un moment. L'arrivée d'un prince qui l'accompagnerait. Mais personne ne se présente. Elle mange seule. Son épaule ondule. Un éclair brun qui me transperce le cœur. En quelques mots, en un regard cette femme est descendue là où je me cache. Quelque chose vient d'arriver.

 

Je mange sans la quitter des yeux.

La famille a quitté la table devant moi. Je ne vois plus qu'elle. Je vais lui proposer de prendre le café en ma compagnie. Elle ne refusera pas. Ne serait-ce que pour fumer une autre cigarette. Je ne prends jamais les devants de cette manière.

De nouveau j'entends le rire hystérique de la femme assise derrière moi.

 

Le garçon fait son apparition.

Elle a terminé.

Elle lui demande quelque chose. Il semble comprendre et lui répondre.

Elle parle sans difficulté la langue du pays. Le jeune homme s'éloigne.

La voilà seule de nouveau.

Je me lève.

 

 

L'aube pointe.

Sans nous lâcher la main, nous prenons l'escalier sur le coté de la maison.

Il conduit sur la terrasse.

 

Je sors la clef de ma poche.

Avant d'ouvrir la porte de mon appartement je sens qu'elle resserre son étreinte autour de mes doigts. Elle me dit Attends! Et me prend dans ses bras.

J'écoute la mer accompagner la caresse de ses cheveux.

J'écoute battre son cœur et le murmure de nos respirations qui se mêlent.

Son parfum, comme une vague, entraîne avec lui les images de la nuit.

 

Nos premiers mots.

Cette façon qu'elle a eue de répondre à mon invitation. Tendre et sans réserve.

Assis l'un en face de l'autre, nous sommes restés un instant sans échanger une parole.  

 

Mes mains tremblent un peu.

Un long frisson la fait se blottir davantage.

- Attention, je vais ouvrir la porte.

Elle rit.

Nous entrons.

Je n'allume pas la lumière.

Elle s'assoit sur le bord du lit.

- Viens prés de moi.

Sa voix est calme comme l'océan étoilé autour de nous.

C'est à ça que ressemble le monde cette nuit.

Nous nous allongeons dans l'obscurité finissante.

 

La matinée luit faiblement au travers des rideaux.

Ses doigts caressent mon visage.

Son sourire chasse l'ombre.

Elle chuchote.

 

- Monsieur, monsieur...  le futur écrivain...

 

Je lui ai raconté pour l'écriture et tout ça.

Je ne veux rien oublier de l'instant.

J'abandonne mon regard au sien.

 

Nous avons parlé pendant des heures, parcourus les rues, les parcs et la plage.

Nous avons regardé les bateaux de croisière clignoter dans la baie. Couchés sur ce lit, dans l'intimité de la chambre. Le silence prend ses aises.

Je voyage au milieu des heures. Captivé par le mouvement de sa robe qui s'échappe. Par  la grâce avec laquelle elle se glisse sous les draps.

Je me déshabille à mon tour.

Me laisser glisser dans la chaleur de son corps. Sous mes doigts, le velours de son dos. De ses hanches. Elle se redresse, son visage au dessus du mien.

 

- Nous sommes seuls au monde, non?

 

Sa voix semble réveiller la petite fille qui dort en elle.

Je voudrais déjà lui dire que je l'aime.

Doucement, elle s'allonge contre moi.

Nous nous embrassons encore.

Puis encore.

 

Retour à Nantes

 

 

Et puis un jour j'ai reçu une carte avec son adresse griffonnée à la va-vite.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté immobile.

La carte dans les mains.

Debout dans l'entrée de mon appartement ...

 

Elle me raconte cela doucement, avec de long silence pour laisser monter les images. ... La carte, c'était une photographie du port. Je n'avais jamais entendu parler de cette île. Je me souviens avoir pensé qu'il fallait être un lâche pour aller se cacher jusqu'ici... 

Elle se redresse. ...

 

J'ai repris le cours de ma vie pendant quelque temps.

Et puis un jour je me suis décidé.

C'est juste arrivé comme ça. L'envie de partir s'est imposée.

 

J'ai quitté mon minuscule job de merde. J'ai vendu tout ce que je possédais. Des bricoles d'étudiants. Je me suis arrêté ici et là. Un endroit me plaisait et je m'installais. Pour quelques jours où quelques semaines. Je vécu ainsi un sacré bon bout de temps. Sans aucun projet.

 

Je dois aller à sa rencontre.

J'attends seulement le moment. Les bruits de la rue s'élèvent. Déjà le soir.

Nous avons dormi longtemps. Portés par la douceur de l'air.

Les volets entrouverts laissent filtrer la lumière du couchant, redessinant les nuages sur la peau de son dos. Ses fines épaules ondulant au rythme de sa respiration.

Je l'ai connue une nuit et un jour. L'éternité.

 

- Tu pleures ?

- Ca m'arrive... de temps en temps.

 

Elle passe ses doigts le long de mon visage. Efface une larme. C'est le regard d'après l'amour. Une voile claire sous le soleil et  dans le vent.

- C'est là, en permanence, tu sais ... Même sans y penser

Elle sourit puis se lève.

- Il te reste des clopes ?

- Dans ma valise

Elle prend son air le plus mystérieux et l'ouvre en pinçant les lèvres. Ces lèvres merveilleuses.  Je laisse échapper un rire.

Je réalise, au claquement du briquet, que le temps de la consolation est arrivé.

 

 

 

 

 

Reportage expo            (29 ans)

 

 

Quand on l'interview Georges tremble et ses mots lui coupent la langue.

Il est photographe.

Des visages.

En noir et blanc.

Voyage en Inde.

 

Il a du mal à dire.

Du mal à raconter.

L'Inde laisse sans voix.

Il voudrait tant m'expliquer

Son sourire est franc et sa timidité désarmante.

Il à une caméra  devant le nez et je n'ai pas réussi à me faire oublier.

 

 

Malgré tout

ses visages, je les garderai longtemps en mémoire.

Je les entendais causer derrière lui.

 

 

 

 

Reportage Hommage    (2006)  

 

 

À pied, ils remontent la route jusqu'au village. 

Côte à côte.

Une belle image.

 

Je sais que ce sera le premier plan de mon reportage.

Le père et la fille.

Tous deux évoquent la mémoire de Christiane. Une grande petite dame. Correspondante pour Ouest FrancePartie depuis quelques semaines après des années de maladie. Je la croisais, de temps en temps. Sur son territoire.

- Tiens voilà le journaliste ! 

- Madame...

 

Aujourd'hui est un beau jour. La lumière caresse et console.

Nous parlons d'elle. Assis autour de la table de la cuisine. Je n'ai pas voulu filmer les nains de jardin. « Sa passion, elle les bichonnait comme ses enfants »

Je suis assit à coté de l'ordinateur. C'est là qu'elle écrivait.

Des papiers tous les jours.

Même le dimanche.

 

Son chien dort derrière moi. Calé sur le fauteuil de sa maîtresse envolée..

Je pose quelques questions. Je laisse venir. Ils parlent sans tristesse. De l'admiration plein la voix. Des photos et des articles sont étalés sur la table. « C'était toute sa vie ! » « Elle adorait la photo. Elle voulait que tout soit impeccable, les gens bien en place » « Elle se déplaçait à toute heure du jour et de la nuit. Sur toute sorte de sujet! » « Même au réveillon, elle avait toujours un article à finir, fallait pousser les notes pour mettre le couvert »

 

Son mari sort fumer sa cigarette.

Il revient, reprend sa place et son sourire.

« ... La nuit je l'accompagnais. Mais je l'attendais dans la voiture.. Je la voyais souvent faire de grands gestes. C'était quelqu'un d'autoritaire mais elle était très appréciée. Même les élus allaient à sa rencontre pour la saluer »

 

Le chien se réveille.

Je demande à Estelle de faire un plan sur lui.

 

« Il fallait la voir, à la fin, partir avec ses cannes... Elle souffrait le martyre. Sa joie c'était de rentrer avec ses notes et de remettre tout au propre sur l'ordinateur. » « Je suis sûr qu'elle se serait bien entendue avec vous »

- On se croisait parfois, mais c'est vrai que l'on n'a jamais pris le temps de discuter. C'est dommage.

- Ben oui, vous aussi vous devez rendre la copie pour le soir !

 

Il faut assurer les derniers plans d'illustrations.

La caméra s'est fait oublier. Alors ça file. Filmer les visages. Le décor. La toile de christiane et ses objets encore vibrants de sa présence. Quelques articles et des photos. Puis filmer le paysage et le village.

Quelques fermes alentour.

L'univers de Christiane. 

 

Rencontrer quelqu'un après sa mort est une manière douce de retrouver sa place. 

Le monde est vaste. Autant qu'il compte d'humains.

Négligeons une seule vie et nous commençons déjà à perdre la nôtre.

 

Retour à la station. 

Je dépose vite fait le matos et quelques notes griffonnées pour la forme. Je ne les relis jamais. En téloche, j'écris avec ce que j'ai comme images.

 

Je ne traîne pas.

J'ai rencontré Puce il y a quelques jours et chaque seconde est précieuse.

Je cours vers le restaurant.

Je ne veux pas être en retard.

Même la vie m'accompagne en se marrant.

 

 

 

 

 

 

 

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31/08/2023
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