LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

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LE CRI DU CHAMEAU Saison 1 épisode 5

 

J'ignore si ça partira,
mais en tout cas
ça fera un bon souvenir

 

 

 

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L'après-midi touche à sa fin et je suis justement en train de me dire que " la vie ressemble finalement à un grand western crépusculaire peuplé de cow-boys mélancoliques qui meurent tous à la fin" lorsque, brusquement, on sonne à ma porte.

Scott et Val restent couchés sans émettre ne serait-ce qu'une once de grognement, voire un début de jappement. Rien.

Pas un mouvement.

Je trouve ça un peu étrange mais je ne m'inquiète pas. Et c'est tout naturellement que je me dirige vers la porte.

J'ouvre.

- Salut mon gars. Dis-moi, ça t'ennuierais que j'entre un moment me taper la discute avec toi?

- WOW... Wow... Vous êtes...

- Tout juste.

- Entrez, m'sieur Ford, je vous en prie. Je suis un méga gros fan de vos films.

 

Bon, là, faut que je vous explique un truc avant de vous raconter la suite.

Je sais que ça va vous sembler un peu couillon et peu crédible, mais je croise régulièrement des réalisateurs qui sont morts. Un peu comme le môme du Sixième Sens mais en pas du tout flippant. Ça se passe toujours très bien. Il faut savoir que les réalisateurs morts sont souvent d'une courtoisie exemplaire. Rien à voir avec un vulgaire fantôme ou un de ces poltergeists un peu soupe au lait. Ils se tiennent tranquille dans un coin, en général pas loin de multiplexes ou de salles d'art et d'essai et peuvent, en principe, tailler une bavette avec les cinéphiles dans mon genre. 

Mais là, c'est la première fois que l'un d'entre eux frappe à ma porte.

 

 

 

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John Ford se pointe donc dans le salon avant de se laisser tomber dans mon canapé. (Je tiens à préciser que l'intégralité des échanges qui vont suivre ont été traduits de l'anglais par Bernard Delbourt, le responsable US des Chroniques Ciné de Francisco, et ce pour un confort de lecture accru et permettre ainsi à tous les membres non anglophone du blog de profiter pleinement de cet instant rare et précieux)

- Dis moi, c'est un putain d'écran que tu as là, mon gars.

- Ouais, c'est un petit plaisir que je me suis accordé. Je regarde pas mal de films, alors...

- Forcément..  Dis-moi, ça fait quasi ta taille en diagonale, ça.

- Pas loin, ouais. Mais je vous promets que revoir Les Raisins de la Colère la-dessus, c'est vraiment un grand moment!

- Je me doute. Tu me ferais pas une petite démo, là ?

Je me tourne alors vers ma collection. Forcément un peu fébrile. Montrer un Blu-ray à un réalisateur mort ne va pas forcément de soi. Je me doute qu'il va être totalement bluffé. Et ça ne loupe pas. Je lance le disque des Raisins et dès l'apparition du menu, bingo,  John commence à se frotter la tête doucement en soufflant. Le film démarre, il acquiesce sérieusement, en plissant la bouche. J'enchaîne aussitôt :

- C'est pas pour vous lancer des fleurs, monsieur Ford, mais c'est un de mes films préférés.

Il esquisse un vague sourire puis je passe à un autre chapitre pour lui donner plusieurs aperçus du magnifique travail de restauration. Je ne peux plus m'arrêter de parler. Parce que j'adore ce film et que je suis super content de passer ce petit moment convivial avec son réalisateur.

- Quelle galerie de personnages magnifique. Et ce noir et blanc. Superbe. Il transcende totalement la beauté brute de ce peuple écrasé et qui résiste malgré tout. Vous traitez ça sans démagogie. Quelle leçon!. On ne sait plus faire ça. On ne sait plus raconter la vie des mecs qui en bavent. A part Ken Loach, peut-être. Et encore...

Alors, John Ford lève doucement la main.

- Dis-moi, mon gars, t'aurais pas un truc un peu plus pêchu. Un truc du genre qui claque bien. Le soldat Ryan ou Les Incorruptibles ou un machin comme ça, tu vois.

- ah oui, j'ai ça.

Je file chercher Le Soldat Ryan. 

- Ah putain, j'adore ce film!  Tiens, fous-moi la scène du débarquement et met le son à fond, pour voir!

Il se flanque une grande claque sur la cuisse et me décroche un immense sourire.

La pièce commence à se remplir de bruits de mitraille et de hurlements.

A chaque plan de Tom Hanks je l'entends grogner de plaisir.

- Putain, j'adore ce mec...

- Excusez-moi, m'sieur Ford, mais là faut vraiment que je baisse un peu...

- Ok, mais pas trop... 

Je baisse un peu mais le caisson de basses continue d'envoyer du lourd.

Je vois  le regard de John Ford parcourir frénétiquement les quatre coins de l'écran.

-  C'est une putain d'image de dingue que t'as là, mon gars. Je devrais pas dire ça mais on est encore mieux qu'au ciné!

- Ouais, j'aime bien peaufiner les réglages. Je crois que j'ai réglé tous les téléviseurs de mes potes. Je ne sais pas si vous avez un téléviseur là ou vous êtes, mais si ça vous dit je peux jeter un coup d'oeil.

- Ah non, tu rigoles, nous on a pas ça là-haut. Rien à voir...

Il faut dire que cette séquence du débarquement envoie du bois. Tous les membres du blog sauront de quoi je parle.

Et là j'entends la clef dans la porte.

C'est mon fils, César, qui rentre du collège.

- Mais Papa, t'es malade, t'as mis hyper fort!!!  J'entendais du bas de la rue!

- Ouais César, je chuchote, c'est parce que j'ai un invité!

- C'est qui?!

- John Ford. Tu connais pas. Un vieux réalisateur américain qui est mort il y a longtemps.

Comme il est bien élevé il va tout de suite saluer John Ford.

- Aaaaah! Junior, c'est ça????

Mon fiston se tourne alors vers moi l'air un peu gêné.

- Oui c'est mon fils. César.

- Hé bien César,  ton père est un putain de taré, tu sais ça?  fait John Ford, le doigt pointé vers la télé

- Ouais, c'est clair, monsieur. Répond le fiston en éclatant de rire (César aussi, parle anglais). Et John Ford de tapoter le canapé pour qu'il vienne s'assoir à côté de lui.

Là, j'entends la clef dans la serrure.

C'est Puce.

- Hé, Tu sais que tu vas finir complètement sourd, toi. Elle fait, en m'embrassant.

- Puce, on a un invité, je réponds, en indiquant le salon. John Ford, le mec qu'a fait les Raisins de la Colère...

- Ah ouais? sympa.  Tu dois être content, chou. Mais là, moi, j'suis K.O. Une bonne petite journée de merde. Je te raconterai.  Je vais aller prendre un bain.

Puce entre quand même dans le salon saluer John Ford qui lui offre son plus beau sourire.

- Madame...

Il se met même debout avant de s'incliner, dans un geste ample et théâtrale, pour déposer un gracieux baise main.

Ça mitraille encore pas mal sur l'écran.

Puce hoche la tête en souriant avant de tous nous regarder tendrement.

A peine a-t'elle quitté la pièce que John Ford se met à hausser les sourcils en hochant la tête, et tout ça sans me quitter des yeux.

- Y'a quand même de sacrés mystères sur cette terre, Francisco. J'espère que tu embrasses le sol tous les matins en te réveillant.

Je hoche la tête à mon tour, soudain pensif.

- Absolument, John.

- La chance ne passe qu'une seule fois, Francisco. Prends-en bien soin... Prononce-t'il lentement, le doigt pointé vers la salle de bain.

Sur l'écran un soldat, amputé par une rafale de mitrailleuse lourde ramasse son bras arraché tombé dans la flotte.

Et puis, d'un coup, ce géant du 7ème art, près de 150 films au compteur,  se redresse.

- Tu peux éteindre. C'est bon,  tu m'as convaincu... Il se remet à se caresser le crâne un bon bout de temps avant d' enchaîner: Tu vois,  j'ai connu le muet, le parlant, la couleur mais ça, la HD c'est vraiment du velours pour les yeux... Je vais peut-être penser à m'équiper, finalement...

Là je sens mon pouls s'accélérer. César se tourne vers lui.

- Parce que vous avez la télé, là-haut, monsieur?

- Oh, pour tout dire mon petit César, on se contente du minimum. On y loge d'une manière assez spartiate. Rien que l'essentiel. Mais, fondamentalement, rien ne nous empêche de nous équiper correctement...

Et là, je vois le visage de mon fils s'éclairer.

- Hé, t'entends ça papa? Tu vas pouvoir regarder des films quand tu seras là-haut. T'es content?

- J'ai encore un peu de temps, fiston, mais oui, c'est une sacré bonne nouvelle.

Je suis assez ému, pour tout dire.

Avant de partir, John Ford me demande un petit remontant, "Pour la route".

- Dis mon gars, t'aurais pas un bon vieux truc qui dégage les bronches, genre whisky ?

Je file donc chercher ce que j'ai dans le genre.

- J'ai ça, John, un reste de Cardhu. Mais ça fait quelques années qu'il est là. Je pense qu'il doit être un chouille frelaté parce que la première fois que je l'ai ouvert j'étais brun et  j'avais même des cheveux sur le dessus du crâne.

Là il se marre.

- Je t'aime bien, Francisco.  File moi ça, y a pas de soucis.

Il attrape la bouteille et siffle une longue rasade.

J'avais bien remarqué qu'il était un peu transparent et ça n'a pas loupé, le whisky a fait une flaque sur le parquet.

 

 

 

 

 

 

 

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 John Ford   1894 -1973

 

 

 

 

Épisode 6

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Sommaire saison 1 

Sommaire général 

 



05/01/2017
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