DREAM SCENARIO, rêver en Cage

Hors-piste Comédie noire Allégorie

Kristoffer Borgli

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En vous souhaitant, avec une sincère affection, une année 2024 pleine de belles rencontres, de surprises et curiosités à découvrir, je me permet de balancer une dernière chronique. Elle concerne une nouvelle pépite dans le parcours étrange et fascinant de l'acteur Nicolas Cage.

Ce brillant jeune premier des années 80 (Birdy, Arizona Junior, Sailor & Lula) et tête d'affiche de quelques-uns des plus écrasants blockbusters des années 90 (The Rock, Les Ailes de l'Enfer, Volte/face), suit depuis pas mal de temps un sentier assez poilant de nanars atomiques. Parfois nuls au point de débarquer sur les terres du surréalisme. Mais, attention, ici et là planent des ovnis qui nous rappellent à chaque fois combien cet éternel môme au regard perdu, l'acteur incandescent de Lord of War ou carbonisé de Leaving Las Vegas, est capable de réaffirmer son plein charisme dans la pratique du hors-piste.

Ces vingt dernières années, au milieu d'un torrent de bouses (le bonhomme affiche pas loin de 120 films au compteur du haut de ses soixante piges) sont entrés en lévitation, pour mon plus grand plaisir, le pseudo Batman fatigué de Kick-Ass, le loser magnifique de Joe, le déglingué vengeur de Mandy, Le père dépassé de Color out of Space ou encore l'inoubliable chasseur de truffes de Pig. Des prestations clairement habitées dans des oeuvres au ton unique. Cage semble se foutre royalement de la notion de carrière. Pour lutter contre la lassitude il s'amuse. Et parfois, il s'abandonne à son rôle. Comme ici.

Si je commente ce film en ouvrant sur l'acteur c'est que la valeur du show repose aussi sur ses épaules. Sans lui cette drôle et macabre allégorie sur les volatiles et versatiles célébrités portées par les réseaux sociaux et qui ne reposent sur rien serait restée une fable surprenante et sympathique. Avec Cage elle sublime son étonnant scénario. Son sens de l'auto-dérision incendiaire et sa pleine humanité garantissent à l'ensemble une dimension universelle en offrant chair et crédibilité au récit. Cette histoire d'un petit prof ordinaire accédant à la notoriété en déboulant dans les rêves de tout un tas de monde autour du globe est d'abord hilarante puis totalement bouleversante. Sa prestation de type dépassé par les évènements, créneau dans lequel il excelle, est promène avec la même grâce de l'irrésistible au pathétique (au sens le plus fort du terme)

Ballotté de l'euphorie au cauchemar, son personnage incarne à lui seul le ravage existentiel de l'emprise de l'illusion sur le réel. Cette effarante disparition de l'analyse entre ce qui est et sa représentation depuis l'avènement d'une sous-culture de l'instantané et de l'émotion brute. Une hystérisation de l'opinion publique qui efface l'analyse et le débat. Un fléau susceptible d'atomiser celles ou ceux qui se retrouvent "objet" puis "cibles" d'un buzz.

Sur les ailes de son acteur, sans baisse de rythme ni ventre mou Dream Scenario m'a embarqué jusqu'au final avec ce doux sentiment de plonger au coeur d'une situation imprévisible et inédite. Une belle idée de cinéma soigneusement développée du fantastique à la satire avec son lot de moments spectaculaires et ses instants de poésie tragique. On se prend tout dans la gueule sans rien prévoir et c'est bon.

La mise en scène raffinée mais plutôt sage du réal et scénariste Kristoffer Brogli soigne l'atmosphère grâce à la photographie ouatée de Benjamin Loeb. Une forme de sobriété dans la forme qui laisse finalement toute la place à la prestation éblouissante de son acteur principal. Sa présence éclipse toutes les autres (malgré un casting sans fausse note). Grâce à ce génial rescapé du nanar et de la série Z, digne figure clownesque comme échappée d'un casting d'Ed Wood, ce Dream Scenario vole en haute altitude et peut prétendre au statut de futur film culte. Une oeuvre unique à ranger, sans tout à fait les égaler, non loin d'autres "films cerveaux" et objets filmiques non identifiables comme Brazil, Dans la peau de John Malkovich, Adaptation ou, plus récemment, Beau is Afraid d'Ari Aster (ici co-producteur).

Que 2023 s'achève sous le signe de l'originalité est en tout cas un bon signe de vitalité pour le cinoche et un nouveau geste artistique à saluer de la part de la société de production A24, phare du ciné indépendant US. De quoi rester confiant pour 2024 !

Francisco,