LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LE CRI DU CHAMEAU saison 4 épisode 1

 

La grande et noble histoire
du chien fou volant 
avec sa jolie plume dans le cul

 

  

 

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"Les petits enculés n'ont aucun mal à se faire des copains"

Daniel.

 

 

 

 

 

Voilà où j'en étais.

8h du matin, dans la salle d'attente de la clinique vétérinaire, avec mon vieux compagnon et sa tumeur lui poussant sur le flanc. Mon vieux chien tout tremblant et sa bonne gueule de lévrier tout blanchi au regard si doux. Je l'ai fait monter sur la balance. 25,7kg. Pas bien gros, forcément.

Je m'installe et j'attends. Val frotte son museau sur ma cuisse. C'est un trouillard. Il sait très bien où il est. Alors il flippe. Son corps est secoué de frissons. Je le caresse et je lui parle doucement. Comme je le ferais avec n'importe qui. N'importe qui de proche. Proche au point de se demander à quoi ressemblerait la vie sans lui. Deux piqûres et il s'endort. Comme si son corps glissait sous lui. Il se lèche bruyamment les babines puis ses yeux se ferment.

 

- Vous le récupérez vers midi?

- Oui, c'est ma femme qui viendra le chercher.

 

Je me dis que ce n'est qu'une opération. On va l'ouvrir, le découper un petit peu, lui retirer cette saloperie puis on verra bien. Ensuite, je vais faire comme la plupart d'entre nous. Prendre chaque journée après l'autre et croire au miracle.

Val a survécu à quatre ans de mauvais traitements puis de chenil avant de se retrouver à la maison. Je me dis qu'il a résisté aux coups, puis aux nuits d'orage. Dehors sous la flotte et les éclairs. Je me dis qu'il a défendu vaillamment sa gamelle et aboyé plus fort que les autres. C'est un guerrier. Il a le cerveau un peu déglingué, fourre le museau dans le cul d'un peu tout le monde, ne pense pas toujours à pisser au bon endroit au bon moment, mais il a l'étoffe pour virer cette tumeur et résorber le reste.

 

Il va avoir onze ans.

C'est déjà un vieux cleps mais il peut encore encaisser. J'aimerais me balader avec lui une poignée d'années encore. Le voir cavaler entre les arbres, sauter par-dessus les buissons, traverser les champs, les fleurs et les fougères, puis revenir vers moi, la langue sortie. Comme tout chien trauma, un peu con et parfois agaçant, il est souvent drôle et d'une tendresse infinie. Et puis c'est un chien. Un peu comme un être humain, mais en moins bavard et plus loyal. Une sorte de bon copain silencieux qui ne se nourrirait que de croquettes.

 

Puce l'a donc récupéré.

Mon Val, avec son gros pansement blanc collé au milieu du bide et sa collerette autour de la tête pour ne pas l'arracher, ni gratter la plaie qui cicatrise doucement en dessous. Huit points de suture. Une belle cicatrice de plus. Une des plus balèze de son histoire.

 

Ces derniers temps, je me réveille souvent en milieu de nuit.

Au bout d'un moment je finis par me lever. On ne lutte pas contre une insomnie. On la regarde passer, c'est tout ce qu'il y a à faire.  J'ai la tête pleine de taf.  Comme tous les types les types ayant la chance d'avoir un labeur pour tenir ses journées bien en laisse, ma tête, même en sommeil, prépare déjà la journée à venir. Tournages et plans de montage, dans mon cas. La machinerie nous réveille mais il ne faut pas s'en faire. Il faut avoir confiance au savant travail de l'inconscient. Cet infaillible de l'instinct qu'il ne faut jamais trahir. Je fais confiance, je sais que je trouverais un ordre dans toute cette matière, mais j'y pense. Et ça suffit à me réveiller.

 

Comme tous les quinquas qui aiment écouter la musique fort, je ne peux rien faire d'autre que de laisser mes acouphènes bourdonner dans la nuit. En général ils s'éteignent quand on pense à autre chose. Je me promène dans la maison. je retourne à l'ordi. je parcours les titres de l'actualité, je tape deux-trois phrases pour une chronique ciné ou Le Cri du Chameau. Autrefois, je fumais. Mais j'arrête trop souvent pour renouer avec cette bonne vieille, sympathique et cancérigène habitude. Dans la cuisine, j'allume la lumière la plus courte. Celle au-dessus de la machine à café. Je me dis que nos vies ressemblent un peu à ça. Un îlot faiblement éclairé avec une carafe d'eau et des fruits, planté sans aucune raison au milieu des ténèbres. Avec juste de quoi se faire un café pour rester debout. Puis le petit matin arrive. L'épiphanie de l'insomniaque.

 

Depuis son opération, Val se promène avec sa collerette, comme un abat-jour ambulant.

C'est encore plus drôle quand il court dans le jardin avec son petit frangin teigneux bondissant à ses côtés.

Tiens bon, mon vieux pote.

 

 

 

 

 

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C'est ici que Little Billy a décidé

 

il y a plusieurs décennies 

 

de s'effacer.

 

Parce que c'est bien comme ça que le temps et les paysages fonctionnent.

Il s'agit d'abord de bien dégager la vue.

Marcher jusqu'au lieu le plus ouvert.

Aller chercher sa respiration la plus profonde et libérer vers le soleil les éclats les plus tranchants de la nuit.

 

Il le fait chaque matin.

Aux saisons froides et pluvieuses comme au jours de lumière et de chaleur.

Se laisser éblouir.

Comme en ce jour.

Découdre le temps, laisser filer les images et les bribes de souvenirs, depuis l'écho de la viole de gambe montant des profondeurs du château de Bertha Icks.

 

Parce que c'est ainsi que l'air nous porte.

Le musicien est revenu.

Little Billy aime ce type.

Son élégance discrète. Cette manière sage qu'il a de poser les yeux sur vous. Son âge semble peu lui importer. Il est dans le dernier chapitre de sa vie et savoure chaque nouvelle page comme un matin de printemps. Il sait bien, dans le fond, que tout recommencera toujours. Il joue encore de son lourd instrument avec une vigueur miraculeuse. Ses mouvements affichent autant la grippe du temps que la noblesse d'une vie entière vécue en art. Il est là, présent.

Roi dans sa musique.

 

C'est ici que Little Billy a décidé

il y a plusieurs décennies

de s'effacer.

Loin.

Si loin de ses terres d'enfance.

 

Des semaines de navigation à observer la terre pencher sur son axe.

Cette respiration diffuse de l'océan dispersant son écume dans l'invisible des nuages.

Des mois d'errance à griffer ses pompes, moudre la terre, rouler des cailloux et s'ampouler sur l'écorce des routes. Éprouver le dos et les hanches du territoire. écouter le murmure des villages. La prière des fontaines. Caresser du regard, avec lenteur, l'étoffe des plaines. Respirer l'odeur citronnée de la fin de l'été. Goûter aux fruits des marchés. Suivre le chemin de l'eau et des ombres. Marcher est une écriture. La pensée s'organise et tourne alors au rythme sage des moulins à prière. C'est ainsi que les univers se maintiennent et c'est à ce rythme qu'il épousa la carte d'un de ces petits pays dont les forges, les écrits, les lois comme les guerres ont aussi écrit la Grande Histoire. Jusque ici.

Juste ici.

 

Il s'est arrêté.

Dans ce lieu où les pierres parlent plus qu'ailleurs.

Des femmes sans hommes, calmes et méticuleuses, vivant au rythme des chants, lui accordent depuis ce jour, le gite et le couvert. D'abord pour si peu d'argent qu'il séjourna plusieurs saisons ensuite il se fit adopter. Ses dons innés en travaux de toutes sortes en firent l'ange gardien de leur fragile aptitude à se raccorder aux contraintes de la matière. Il leur permettait de chanter en toute quiétude. Débarrassées de toutes laborieuses préoccupations. Un jour poussant l'autre sans combattre, Little Billy cessa d'être musicien.

 

Aujourd'hui ses ballades mélancoliques n'accompagnent plus que le rythme de sa marche. Il parcourt aux premières heures du jour et chaque soir les berges jusqu'au coude de la rivière et sa large échappée vers des terres plus industrielles.

Sur les collines en face, une vigne neuve, plantée deux ans plus tôt, grimpe jusqu'au village. Un peu plus loin, sur le dos de la vallée, un manoir aux volets clos. Les filles du château lui ont raconté qu'il y a longtemps une famille vivait là. Un drame sans égal éteignit les lumières. Seul le père y vit désormais en ermite, dans l'obscurité, et le bruyant silence du deuil. La marche funèbre de ces milliers de souvenirs sans avenir.

Sur l'autre rive toujours, au milieu des champs, Un rassemblement de chevaux comme fixés par la brume. Ces tableaux composaient sa randonnée du soir.

 

Little Billy a retrouvé ici un peu du grand calme de la maison de la forêt mais sans le passé ni l'amour malade. Il a retrouvé le pas léger de ces êtres nourris de bonne fortune et volonté, débarrassé de ces idées vaines, sauvages et cruelles qui rendent fou ou amer. L'indomptable de ses colères s'est depuis longtemps assoupi.

 

Et puis le vieux musicien est entré à son tour.  Il y a dix ans d'abord, au coeur de l'hiver.

Puis chaque automne. Ensemble ils ont tissé une solide amitié, dévorant ensemble les ouvrages mystérieux de l'immense bibliothèque de Bertha Icks et partageant la même passion pour l'écriture. Traquant la magie dans l'or des mots. Les mots. Ces beaux enfants du premier silence des hommes. Accepter de les laisser filer pour ne pas les figer. Fuir le sens tout en sachant déchiffrer les mouvements du chaos. Écrire. Pégase en flammes éclairant la nuit de notre existence. Alchimie sans manuel. Ce fauve un peu dingue que l'on réveille on ne sait trop comment et que l'on chevauche à cru sur le muscle saillant des phrases.

 

Parce que c'est ainsi que Little Billy se régale.

En présence des êtres-sentinelles. Comme auprès du vieil homme. Le vieux musicien sait garder le sourire et accroche une foule de songes  lumineux à ses conversations. C'est une âme éclairée et bienveillante. Il se fait appeler William B et compose un requiem destiné à refroidir un peu l'atmosphère de quelques degrés et ainsi, pourquoi-pas, sauver le monde.

 

En cet instant précis,

William B est assis au jardin.

Little prend place à côté de son vieil ami.

- Little, J'ai une question à te poser.

- Shoot!

- Et si, a compter d'aujourd'hui, nous tentions la joie

- La joie?

- Tout le tragique qui déborde n'est que le feu d'artifice d'une gigantesque farce. Celle de se sentir tout puis de n'être plus rien.

- La joie, alors.

- Jamais, dans l'histoire, notre agitation n'a été aussi vaine.

- C'est si désolant et drôle en même temps. 

- Mais quelle libération pour l'âme ! Les courants sont puissants et multiples. On ne peut nager contre, mais ils nous conduisent aussi en des endroits fouettant l'imagination. La violence qui bouleverse et brise les digues est dévastatrice et terrifiante mais elle finit toujours par se noyer dans ses propres tourbillons. La poésie flotte, Little. La poésie flotte et survit.

- Alors, marrons-nous, mon cher William. Soyons joyeux.

- Oui. Et sur le dos. Les étoiles nous chanteront alors que la vie ne dure qu'une seconde dans le long voyage de la lumière.

 

Quand il balance ses formules les plus magiques, Wiliiam B a ce don mystérieux de finir sa phrase à l'instant même ou un vol d'étourneaux file dessiner l'impermanence au dessus de l'horizon. Ces figures vastes et mouvantes qui résument tout. Et les étourneaux ce n'est pas ce qui manque du côté du château de Bertha Icks.

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

- Tu connais ce conte?

Denise haussa les épaules.

- "Le chien fou volant avec sa jolie plume dans le cul" Déclama Zampano en balançant l'ouvrage par dessus son épaule. Le livre dériva lentement, dans l'apesanteur de la cabine. Une petite rangée d'ouvrages était fixée à l'étagère au dessus du bureau. Il les parcouru les uns après les autres avant de tout ranger et de replacer l'élastique sur les tranches. Puis il s'attacha à la rampe du vaste hublot et, tout comme sa compagne, il contempla la nuit de la Terre. Ce monde était immense. Peuplé de milliards d'âmes tristes, avides, gourmandes ou tourmentées. Et pourtant, la solution au désastre reposait ailleurs.

Je vous aurait  bien raconté comment Denise et Zampano se retrouvaient aujourd'hui dans l'Arche spatiale de Nemo mais ce serait un peu laborieux à résumer et, franchement, le temps presse.

 

 

 

 

 

 

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Après les lacrymos -  Marc Yvard

 

 

 

 

 

 

 

Épisode 2

 

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Sommaire général  

Sommaire saison 4

 



23/03/2019
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