LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

THE ADDICTION, aux frontières de l'aube

Fantastique indé Culte 90's

Abel Ferrara

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Je l'attendais depuis longtemps.

Une rareté dont je n'avais fait qu'entendre parler et que je découvre, ravi, vingt-cinq ans après sa sortie.

Première claque, les cadres et la photographie du chef-op Ken Kelsh. Les visages irradient et chaque plan magnétise l'attention. Un travail de sniper. La restauration est admirable. La texture de cette image palpite et nourrira tous les recoins de votre cerveau de cinéphile. Tout cela respire encore l'avant-garde. Si l'on oublie la musique du générique, un Better off Dead ultra 90's, tout cela aurait pu être filmé hier. C'est beau. Pour les amoureux du cinéma d'atmosphère l'hypnose est garantie. La  puissance expressionniste terrassante du noir et blanc fait le reste et dresse un pont avec le matriciel Nosferatu de Murnau. (comme en clins-d'œil, le spectateur ne lira parfois que le mouvement des lèvres)

 

 

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Seconde claque, la modernité du montage.

Un rythme à la fois languissant et électrique. Calqué sur l'urgence du tournage. The Addiction c'est du cinoche à l'arrachée. Un travail de passionné, d'amoureux fou. Du cinéma de franc-tireur. Du cinéma en liberté. Un film tourné quasi bénévolement et porté par la passion brute du cinéma. Et la joie de découvrir cette perle est portée par cet engagement et ce refus du compromis. The Addiction incarne ce que je considère comme le vrai et pur "cinéma d'auteur". Pas de posture mais une fringale et une rage saine de libérer les idées. Les mots et les références mordent ici autant que les charismatiques vampires New-Yorkais du réalisateur de Bad Lieutenant et L'Ange de la Vengeance (deux autres parcours de damnés) Dialogues et citations philosophiques mènent le bal.

Et ouais, à l'époque les réal ne passaient pas leur temps à twitter. Ils avaient lu deux trois bouquins et se plaisaient à tutoyer l'abîme. Ici tout le panel de la littérature et philo attachées à nos parts de ténèbres et lumières y passe. De la tentation nihiliste à notre endurance à l'absurde et au non-sens fondamental. De Protagoras et Dante à Nietzsche, Kierkegaard, Beckett, Sproul, Sartre, Feuerbach, Burroughs ou Santayana nous avons ici de quoi passer  le reste de notre nuit sur Wikipedia à pleurnicher sur notre profonde inculture. Même si cette abondance de citations ne renvoie qu'à l'égarement de ces âmes entravées par la dépendance. Dans la bouche de ces acteurs, ces citations deviennent des mantras sans pouvoirs. Inflexions, intonations, regards, The Addiction dans sa jusqu'au-boutiste direction d'acteur vampirise l'attention et interroge sans cesse les limites de notre humanité sans oublier de tutoyer notre bestialité première. De l'impasse au carnage ...

 

"... Our addiction is evil. The propensity for this evil lies in our weakness before it. Kierkegaard was right - there is an awful precipice before us. But he was wrong about the leap - there's a difference between jumping and being pushed. You reach a point where you are forced to face your own needs, and the fact that you can't terminate the situation settles on you with full force."

 

 

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Chaque séquence, chaque mouvement de caméra, délivre cette pulsion gothique-romantique d'aller tutoyer un absolu du septième art en s'abandonnant aux extrêmes. C'est tout le propos de ce film de vampire revisité. Tout ici est question d'addiction et d'appétit insatiable. De cette incurable dépendance qui définit l'axe et le mouvement de nos vies. Les êtres se dévorent, meurent et renaissent. Irrépressible attraction d'une existence vorace, animale, vécue par-delà le Bien et le Mal. Un abandon aux pulsions aussi destructeur que libérateur mais condamnant les contaminés à la perpétuité. Constat d'une "damnation" dont l'échappatoire ne se trouvera qu'en se jetant aux pieds de la croix. Comme celui de Scorsese, le cinéma de Ferrara ne cesse de se tourner vers le ciel en nageant au coeur de l'enfer.

 

Si l'on savoure, au coeur du film, l'apparition fascinante, parfois drôlatique et ô combien charismatique de Christopher Walken à l'allure et au visage d'archange maléfique (Ferrara retrouve ici, cinq ans après, l'acteur fétiche et adulé de son luxueux et cultissime opéra mafieux The King of New-York) ce vampire multi-centenaire ne fait que passer. The Addiction est d'abord et avant tout un portrait de femme d'une vibrante modernité. Lili Taylor assume fièrement et courageusement le rôle principal et semble se régaler de son rôle à l'arc narratif ample et généreux. De la souffrance à l'abandon, du silence à l'hystérie, de la soumission à la volonté de puissance, son affranchissement progressif laisse éclater tout le talent de cette actrice qui de films en séries a toujours su dessiner des personnages uniques. Difficile d'oublier sa présence dans l'humaniste et addictive série Six Feet Under ou le poétique, bordélique et dingue Arizona Dream de Kusturica. Un parcours d'actrice résolument inclassable. À l'image de cette oeuvre précieuse et vénéneuse qui reste en tête longtemps après morsure.

 

 

 

Francisco, 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'avis des lecteurs

 

Marian-o

 

" ... j'ai ressenti toute cette atmosphère cinéphile et c'est un régal. Mais j'ai été déçu aussi parce que je pense que toute cette force en premier degré, l'urgence du tournage, la contrainte de ne pas faire plus de 2 prises par scène, cette passion brute fait que le film manque d'épaisseur. Les citation philosophiques me laissent sur ma faim, j'aurais aimé pouvoir les discuter avec le film. Mais, Christopher W arrive pour combler cette faiblesse. Il dévore le film! D'ailleurs son apparition est très courte mais c'est (presque) tout ce qu'on retiendra. Si on rajoute le festin de fin puis la rédemption de Kathleen (le personnage de Lili Taylor) la boucle est bouclé et ça me va."

 

 

Alexandra 

 

"Je n'aime pas ce style, mais je l'avais vu car il en ressortait une forme de philosophie : l'être humain étant le mal à l'état pur. Je pense que Gusdorf aurait adoré. Entre mythe et métaphysique. Bien tourné et surtout très bien joué."

 

 

 

 

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1995

 

1H20

 

 

LE BLU-RAY        Sublime restauration issue d'un master 4K libérant la puissance de ce noir et blanc à la fois étincelant et charbonneux. De la lumière aux ténèbres le ravissement est permanent. Un niveau de détail miraculeux compte tenu du faible budget de cet inclassable et précieux objet de cinéma. Un Blu-ray? disons plutôt, un objet d'art. 

Director:

 Abel Ferrara
 
 
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26/03/2021
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