LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LE CRI DU CHAMEAU saison 2 épisode 3

 

Tiens, j'ai dans les mains
quelques plumes
et un éventail

 

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- S'il vous plait, dessine-moi un mutant.

 

Hugo se redressa aussitôt, encore pris dans les limbes du sommeil et considéra avec stupéfaction le grand ado au bermuda en lambeaux qui se tenait, hilare, devant lui. Il se frotta les yeux comme pour se débarrasser de cette étrange vision mais il ne rêvait pas. Un tout jeune homme à l'air idiot avait surgi du désert de pierres, rochers et collines pelées pour lui faire cette étrange demande.

- Pardon?

- Dessine-moi un mutant... 

Il y avait plusieurs jours que le chevalier avait quitté le dernier village habité et la présence de ce garçon ici, au milieu de nulle part, à une ou deux semaines de cheval du bout du monde, avait quelque chose de totalement incompréhensible. 

- Mais dis-moi, gamin, qu'est ce que tu fous là?! 

L'ado se mit à ricaner bêtement en se claquant les cuisses et reprit:

- S'il vous plait, dessine moi un mutant. 

Confondu par la profonde absurdité de la situation, Hugo s'approcha de son cheval et retira de sous la selle un vieux parchemin publicitaire représentant des paysannes à demi-nues s'ébattant au milieu des champs. Il le déplia, le retourna et, à la pointe d'un fusain, il traça hâtivement la silhouette improbable d'une créature à quatre bras. 

- Pas ça un mutant !  pas ça !!!! Ça monsieur avec plein de bras !!! hurla le môme en postillonnant à tout va.

- Mais, c'est que je ne sais pas dessiner moi, comprends-tu ? répliqua le chevalier, totalement désemparé.

- Pas grave, pas grave !!!  hurla le tout jeune homme, dessine-moi un mutant !!!

Hugo expira longuement et reprit son parchemin. Il demeura un instant le geste en suspend puis esquissa une nouvelle silhouette.

L'enfant se mit aussitôt à rire aux éclats.

- Hé hé !!! Tout pourri ! pas ça mutant !   Ha ha ha!  Pas ça du tout ! Pas mutant !!! 

Le chevalier serra plus fort son fusain et ferma les yeux. 

- Pas dès le matin, pas comme ça, murmura-t'il en levant la tête vers le ciel. 

Patience est mère de toutes les vertus, imprima-t'il dans son esprit bousculé.

- Dessine moi un mutant, dessine-moi un mutant !!! chantonnait l'ado en sautillant, les bras en l'air, autour du campement de fortune. Hugo pensa que plusieurs jours dans le désert avait probablement rendu le garçon à moitié dingue. Sans doute ivre de faim et de soif. Il se redressa et récupéra une outre d'eau qu'il lui fit signe d'attraper avant de lui lancer. Mais l'outre tomba aux pieds de l'ado qui se figea et resta prostré un long moment en souriant.

 

- S'il vous plait... Dessine-moi...

- ... Oui, un mutant. Je vais te faire ça, mon pauvre  garçon.

Hugo reprit son parchemin et sur le dernier espace libre dessina alors avec le plus grand soin une soucoupe volante comme celles qu'il voyait parfois planer vers la cité du Roi-Souffleur. Ce n'était pas un vaisseau bien compliqué à dessiner et la forme était aisément identifiable.

- Tiens, le voilà ton mutant. Il est dans la soucoupe et c'est même lui qui pilote, mon grand.

Le visage de l'ado s'éclaira et il se mit à frapper dans ses mains. 

- Top, top, c'est super top ! Ha ha ha !!! Top !

Il serra fort Hugo dans ses bras et faisant des petits bonds, s'empara du parchemin puis s'enfuit vers l'ouest en courant comme un fou. C'est ainsi qu'Hugo dû se résoudre à se séparer de son parchemin et fit la connaissance du dernier petit prince du désert. Un court instant il songea à le rappeler pour lui proposer quelque chose à manger mais l'envie se déroba bien vite. Il se contenta de le regarder disparaitre  là-bas, derrière les collines.  Lui revint alors en mémoire que le Roi-souffleur lui avait offert quelques doses de son meilleur café "pour les grandes occasion ou les moments éprouvants". Le chevalier se dit que ce moment-là était vraisemblablement idéal. Il ranima le feu, attrapa un lézard et se prépara un solide petit-déjeuner. Un long chemin l'attendait avant de rejoindre l'ange gardien. Au souvenir de sa voix mélodieuse il retrouva son grand sourire.

Et puis ce lézard avait comme un goût de myrtilles et de "reviens-y".

 

 

 

 

 

Le premier rayon du soleil ouvre l'horizon et éclaire le visage de Zampano.

Il s'est arrêté à quelques pas des premières vagues, planté, solide comme un phare, face à l'océan. Les pieds dans l'eau, Denise le compare à un homme-arbre. Jambes épaisses. Torse massif. Épaisse chevelure grise en broussaille autour de son visage à la peau sombre.

- Tu ne veux pas retirer tes bottes et venir prendre le frais?

L'ancien lutteur hausse les épaules et sort une pipe en ivoire d'une des poches de son blouson. Denise observe la préparation jusqu'à l'embrasement du fourneau. Les premiers volutes de fumée bleue se perdent dans sa barbe et le regard clair du grand Zampano revient se poser sur elle. Il esquisse alors un de ses drôles de sourires tordus. Il a conduit sans faiblir des heures durant et sans prononcer une seule parole mais ses silences sont légers et elle se sent en sécurité auprès de cet homme.

- Il t'accompagnera et veillera sur toi aussi longtemps que tu le souhaiteras, avait insisté le jovial Bernard avant d'aller rejoindre le tableau.

 

À présent, portées par le grand air marin, les pensées de la jeune femme aux cheveux courts s'inscrivent sur le blanc de sa première page. Et la sensation est délicieuse. Les secondes s'écoulent, vierge de toute la cacophonie du passé. Tout redémarre ici. Elle le sent aussi au poids, absent, de son corps. Son nouveau visage embrasse son âme. Ses traits ont pris forme au cours de son étrange hiver autour du monde dans la troupe du Lapin Blanc. Long voyage qui lui a permis de larguer une à une les amarres de sa vie précédente. Tout a brulé et les cendres de ses milliers d'heures de réunions, de vains débats, de dossiers fastidieux à boucler, de management harassant et de routes grises et interminables, se dispersent pour toujours dans la lumière de l'aube.

- J'ai faim, allons manger quelque chose!

Lance alors Zampano en soufflant sa fumée vers le remblai et les premiers promeneurs. Que des vieux un peu rêveurs avec leurs chiens en laisse. Denise lève les bras, comme une prière à l'adresse du soleil.

- Café-croissant. Et le bleu du ciel au-dessus. C'est l'instant parfait !

 

 

Une heure plus tard,  le side-car de Zampano a rejoint la crique Lincoln.

Il est encore tôt et le parking est désert. Un vent frais balaye la côte et l'Atlantique disperse ses moutons blancs jusqu'au bord du monde. L'étrange couple s'engage sur le sentier. Il descend, raide et barré de ronces, vers l'ombre ou résonne l'océan. Monte l'odeur puissante de la mer. Ce parfum d'iode et de sel que l'on inspire toute sa vie avec le même appétit. Le chemin fait un dernier coude et Denise découvre soudain le long cylindre argenté du Nautilus. 70 mètres de métal luisant éclaboussant de ses reflets le corps sombre et torturé de la falaise. Sur la petite plage de galets une barque les attend et le coeur de la jeune femme fait un bond. Debout à la proue, se détache la haute silhouette de l'increvable et légendaire capitaine Nemo.

 

 

 

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-  Tu me semble bien triste, Francisco ! fait la statue.

La photo me semble correcte.

- Ouais. C'est que je viens de perdre un vieux collègue... 20 ans de souvenirs de tournages.

- Je suis désolé...

- Nous n'étions pas vraiment des amis mais c'était un bon mec. Une partie solide du décor. Pas méchant, construit sans masques et en un seul morceau... À peine un an de retraite et voilà. Il décide de foutre le camp pour de bon.

- Ah. Il a fait ça lui-même.

J'opine du chef, doucement.

-  Je ne juge pas ce genre de décision, fait la statue en baissant le menton.

- Oui, quand on peut plus, on peut plus.

Après plusieurs jours de flotte et de grisaille le soleil revient entre les feuilles.

C'est un spectacle rafraichissant, gratuit et agréable.

Surtout quand une caresse du vent fait bruisser et chanter le tout.

Je reste un peu le nez en l'air.

-  Il n'y a pas grand chose à dire... reprend la statue

- Non, mon hommage à moi, c'est simplement de repenser à lui et à tout les bons petits reportages qu'on a fait ensemble.

- Tu crois qu'il s'ennuyait?

- À la fin, sûrement. Toute sa vie il a  fabriqué des tas de trucs dans son garage et collectionnait les appareils photos mais il avait une saloperie de maladie. Une forme d'arthrose qui lui a fermé les mains. Il vivait seul. Il a sûrement connu l'amour. Et même le grand. Mais il vivait seul. Oui, sûrement qu'il a commencé à s'ennuyer.

La statue redresse la tête, imperceptiblement.

- La maladie et l'ennui, deux petites gâteries dont la vie a le secret.

-  Si il y a une vie après la mort, j'espère qu'il pourra claquer des doigts et retrouver tous ses outils pour bricoler...

 

La statue est retournée au silence.

 

Son calme minéral m'incite à rentrer à la maison.

Retrouver Puce.

La prendre dans mes bras.

Rester bienveillant.

Décider de mettre un pied devant l'autre jusqu'au jour où je ne pourrai plus rien faire de ma vie.

 

 

 

 

 

 

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                                                                     Marc Yvard    

 

 

 

 

 

 

 

Épisode 4

 

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Sommaire saison 2

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03/07/2017
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