LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LE CRI DU CHAMEAU saison 3 épisode 7

 

Ceux qui sont plein d'amour
ne savent plus croiser les bras. 

Glissez vous contre eux,

qu'il puissent enfin se reposer.

 

  

artfichier_777966_7823555_201808031918583.jpgMarc Yvard - Là-bas

             

 

 

               

 

"Quand je ne sais plus quoi dire, je me tais autant qu’il faut
Je me souviens à quel point deux êtres s’aiment
Ce soir, fais-moi signe, j’attendrai le temps qu’il faut
Je reste là, le micro tendu vers le ciel"

Vivre - Scylla

 

 

 

 

 

 

 

 

Le soir où Little Billy sortit de prison il retourna chez sa mère récupérer son sac à dos et la clé du chalet familial. Il serra longuement la vieille dame entre ses bras tandis qu'elle sanglotait.

- Tu es sûre que tu ne veux pas rester un peu mon Billy?

- Je ne peux pas, maman, mais je reviendrai. C'est promis.

Il aurait pu aussi bien rester vivre dans sa ville, à Manhattan, chez son pote collectionneur de papillons. Zack était sage, patient et de bonne compagnie. L'idéal pour accompagner un type qui venait de décider de ne plus jamais foutre le feu à sa vie. Mais, la tête de Billy résonnait encore du vacarme de ses frères taulards, rien ne pouvait étancher sa soif de nature et de silence. Ensuite, seulement, il reverrait Amie. Il lui expliquerait. Pour l'instant, son seul boulot était de guérir.

 

Le vieux Louis le laissa dormir dans le restaurant.

Après deux semaines de plonge en cuisine, il eut suffisamment d'argent pour foutre le camp. Deux jours de car et plusieurs heures de marche, il parvînt enfin à destination. 

 

Il se tenait là, sous les arbres, à 50 mètres de la berge. Tel que dans sa mémoire. C'était un chalet de construction grossière mais robuste et étanche. Son paternel l'avait en grande partie construit de ses mains, au bord d'un lac où pullulaient les moustiques mais au-dessus duquel la nuit se reflétait comme nulle part ailleurs. C'était sans doute à cause de ce qu'ils avaient tous les deux surnommés "la dent". Un rocher acéré, pointant au centre du plan d'eau. Une pierre claire devenant presque transparente les nuits de pleine lune. Le premier soir il n'alluma qu'une seule bougie. Il ne souhaitait pas réveiller trop de souvenirs d'un coup.

 

- Tu vois, fiston, cette dent, c'est tout ce qui reste du dragon.

- Le dragon du lac?

- Le dragon du lac, fils.

 

Son père tremblait toujours un peu quand il essayait de lui parler gentiment.

Construire le chalet avait contenu tout ce pourquoi il passait ses soirées à boire.

Il hurlait pour un rien, cassait tout un tas de choses et pleurait comme une madeleine, mais il n'avait jamais levé la main sur lui. Little Billy conservait de son père le souvenir d'un bel homme penché. Les traits réguliers mais cassé en dedans, tout emmêlé dans ses silences et se couchant en titubant. Disparu sans une lettre, son ombre flotta lourdement sur la jeunesse de Little Billy. Le jeune garçon s'était perdu a essayer de le retrouver puis de lui ressembler. Il adopta, sans le vouloir, tous les démons du grand absent.

 

Quelques heures après l'arrivée de Little Billy

Elle apparut de nouveau. Comme d'habitude, ce fut comme si il la voyait avant même de la voir. 

"L'étrange lumière"

Il sut qu'elle apparaitrait juste là. Pile dans le coin où reposait son énorme sac à dos. Elle avait scintillé une bonne dizaine de fois dans sa cellule au cours de ses trois longues années passées derrière les barreaux. La première fois qu'il la vît il ne lui posa qu'une seule question.

- Dis-moi, la loupiotte, tant que je te tiens, est-ce que Dieu existe?

Après un court silence quelque chose dans la lumière répondit

- À ton avis, elle vient d'où cette question?

Little Billy pigea alors, pour la première fois de sa courte vie, qu'il y avait bien un truc. Ce n'était ni barbu, ni assis sur un petit nuage. Non. Mais il y avait bien un truc. Il n'aspirait à aucun paradis, ne craignait aucun enfer mais il devinait. Il devinait à présent que quelque chose d'immense et bienveillant roupillait tout au fond de lui. C'était largement suffisant. De quoi se relever et rester debout. 

Revoir, ce soir-là vibrer la lumière lui sembla logique et raisonnable. Il fit ce pourquoi elle lui était apparue la première fois. Il se saisit de sa guitare, prit place dans l'unique fauteuil du chalet face à la porte grande ouverte sur le lac et la lune. Patiemment, le sourire au bord des larmes, il accoucha cette nuit-là d'une nouvelle chanson. Sans doute la plus belle de toutes. Une chanson qui viendrait éclairer les pages les plus sombres de son carnet. Une chanson qui allait voyager dans l'espace et dans le temps. Une chanson qui allait traverser les mondes et passer dans la tête d'un paquet d'artistes. Il aurait pu tout aussi bien écrire ou peindre. Le résultat aurait valu le coup d'oeil.

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

C'est arrivé comme ça.

Je prenais des photos d'arbres et de chevaux lorsque me suis brusquement retrouvé en plein New-York

devant un café, non loin de Wall Street.

Je n'avais pas pour habitude de franchir systématiquement toutes les portes dimensionnelles mais je me suis dit que je devais probablement avoir rendez-vous pour basculer ainsi à travers.

 

 

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Je me suis enfilé, comme un môme, un big chocolat chaud.

Comme j'étais en pleine séance photo j'ai pris celle-ci. C'était quelques instants avant que le colosse barbu au cuir usé, pousse la porte du bar et se dirige droit sur moi avec sa solide démarche de cascadeur .

Voilà, ce n'est plus un secret.

Comme le disent les enfants, Zampano "existe vraiment".

Plusieurs d'entre vous, chers lecteurs, sont même passés tout près de lui sans le voir.

Zampano est un de ces rares personnages à pouvoir se balader librement d'un monde à l'autre. Zampano est un passeur. Accompagner Denise est sa nouvelle mission. Mais le reste du temps il compte parmi les milliers d'invisibles qui veillent sur nos routes et nos chemins. C'est grâce à des types comme lui que les accidentés ne partent jamais seuls. Ils sont nombreux à être passés de l'autre côté, leur visage ensanglanté délicatement calé entre ses bras.

J'avais donc rendez-vous avec lui.

Sans un mot, de son seul regard,  j'ai compris que quelque chose avait dérapé dans le roman...

 

 

Avant de poursuivre, il faut également que je vous raconte ça.

C'est loin d'être anodin et je crois que c'est le bon moment de l'écrire.

Ça s'est passé l'hiver dernier.

Je me baladais, tout pareil, dans les bois avec mon fiston, promener Scott et Val.

Le soleil dégringolait tranquillement derrière les arbres lorsque tout à coup César s'immobilisa et me fit signe de ne plus bouger.

 

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- Cosa Sta?! Qu'est ce qui se passe mon grand ?

- Attends, Daddy. fais pas ton gros débile, Écoute !

 

Ce n'était pas le rythme joyeux d'une fanfare.

C'était quelque chose d'un peu plus menaçant.

Moi aussi, j'entendais les tambours.

Et ce son ne s'échappait pas de la ligne des arbres mais montait des grandes profondeurs.

Les chiens se glissèrent entre nos jambes en jappant.

Le sol vibrait sous nos pieds.

Une odeur mêlée de terre fâchée et de nature furieuse s'éleva partout autour de nous.

 

Quand le roulement s'éloigna avant de disparaitre complètement, nous regagnâmes, sans mots dire, le parking.

Les chiens sautérent dans le coffre. Je  bouclai ma ceinture sans trainer et nous filâmes. Brusquement, il sembla que la nuit tombait d'un coup. Une ombre gigantesque passait contre le soleil. Toutes les couleurs de la ville fanèrent

- Qu'est ce qui se passe, Dad ?

- je n'en sais rien, César.

J'ai trouvé une place juste devant la maison. À l'instant où revenait le jour.

J'eus alors eu une pensée pour tous ceux qui ne pourront plus jamais rentrer chez eux. C'est une folie de les oublier. J'eus le pressentiment que la douleur se déployait. 

Alors ça a démarré

J'ai pensé à cette chaleur qui ne cesse de monter et grille le tour du monde.

J'ai pensé au fracas terrifiant de la banquise agonisante.

J'ai pensé à la vie fragile et aux murs criblés de balles.

J'ai pensé à la faim et aux os tirant la peau.

J'ai pensé aux victoires pleines de sang des dicateurs.

J'ai pensé aux fantômes du pouvoir bouclant leurs dossiers dans l'ombre.

J'ai pensé à l'égoïsme absolu de notre petit milliard de profils dérisoires.

J'ai pensé aux cyclones, puis, aussitôt et en vrac, aux malades et aux malades qui s'occupent des malades.

J'ai pensé aux centaines de milliers de patients victimes de médocs cancérigènes.

J'ai pensé à ces labos qui n'ont a souffrir que de vagues évaluations et enquêtes préliminaires.

J'ai pensé à toute cette innocence piétinée, moquée et massacrée jour après jour sous l"écrasant silence de notre confortable indifférence climatisée. Cette béate stupidité ambiante dans lequel tout nous maintient. Cette crétinerie officielle qui ne tolère et ne diffuse que des philosophies d'humains sans caractère. Programmes inhibiteurs flinguant une à une nos si belles et vigoureuses contradictions.

J'ai pensé à tous ces bonheurs en miniatures vendus d'emblée en promo.

J'ai pensé aux pleurnichards bouffeurs de légumes aux pesticides que nous sommes devenus. Défendons d'abord les enfants oubliés de ce monde qui, de leurs petites mains cramées, fabriquent dans des ateliers sans fenêtres les outils et les habits de notre progrès. Ceux grâce à qui nous pouvons défendre avec une pathétique élégance notre joli rêve d'un tout petit monde tout propre débarrassé de son sang et de sa viande.

J'ai pensé que même l'éclat du jour se noyait dans les eaux tièdes de telles abysses.

J'ai pensé qu'en laissant ma rage dériver tout pouvait prendre une teinte de nuit définitive. Parce que l'espoir est le plus cuisant des désespoirs, je voudrais parfois signer en bas à droite et ne plus jamais me poser de questions .

J'ai pensé" qu'il fallait être particulièrement bien élevé ou complétement con pour ne pas avoir envie de rester là sans bouger. Laisser faire. Attendre que la dernière colère cogne à la porte.

J'ai pensé qu'il m'arrive de trembler ainsi parfois, petit cochon dans sa maison de paille.

Alors

je cherche de la douceur

Je sais, par exemple, que les derniers vrais optimistes pleurent des larmes sincères.

Je voudrais tous les consoler.

Parce qu'ils le méritent.

Le plus bouleversant est que les vrais optimistes ne savent même pas qu'ils le sont.

Ce ne sont pas de simples idéalistes mais des guerriers luttant sans dogmes et à main nues. Des hommes qui avancent au pardon et à la compassion, debout sous les couteaux. Travailleurs redoutables ils piochent contre la nuit jusqu'au plus courageux de l'effort.

Ils escaladent, creusent à en crever et parfois ils marquent.

Comment ne pas les admirer.

Ils me font penser à ces entraineurs épatants qui acceptent de reprendre des teams de bas de tableau ou traînent des gosses que l'échec ne touchent même plus. Avec autorité, bienveillance et une folle énergie ils en font des champions et conduisent leur équipe jusqu'aux plus hautes marches du championnat. Ce genre de réussites existent pour de vrai. Elles distribuent plus que des leçon de sport. Elles fabriquent de meilleures personnes et rappellent à notre cerveau reptilien combien la mécanique de l'effort est le plus noble moyen de survivre.

Ainsi, l'espace d'un instant, la nuit est tombée en plein jour.

Il y a des signes qui ne trompent pas.

Me revient alors en mémoire cette phrase de mon vieil ami, le célèbre compositeur William B.

"Tout ce que nous oublions des misères de ce monde finira par nous submerger"

 

 

 

 

 

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Vous êtes toujours là?

Vous vous souvenez?

New-York.

Le bar.

Zampano.

Bon, le voilà qui s'assoit et plonge son regard dans le mien.

Il attend un instant et, d'un sourire désolé, balance dans l'espace vide entre nous deux petites phrases. qui vont tout combler.

 

- Francisco, j'arrive de la maison forestière... Nous avons perdu Bernard.

 

Et il raconte.

J'écoute Zampano, le ventre noué.

Bernard.

L'ange rondouillard.

Je le revois bondissant, hilare, au beau milieu de la Saison 1, dans son improbable costume de lapin, délivrant une âme épuisée auprès de la chiffonneuse de visages.

- Denise est restée auprès de lui, ajoute le colosse.

Mon vieux Bernard. Bon, drôle et charmant.

Bernard, sauvant les enfants perdus et protégeant leurs rires et leurs sourires au coeur de la tempête.

Quelque chose d'hideux s'était fait un banquet de sa joie et de sa gentillesse.

Terrible nouvelle.

Je tenais là un caillou tranchant de vérité. Une masse brute, lourde et douloureuse.

De nombreuses digues avaient cédé.  La Sombre Marée débordait à présent sur les lumières du plus secret des mondes.

 J'ai prié avec Zampano pour l'inspiration et promis de rester vigilant pour la suite.

Il regarda tristement le boulevard, haussa les épaules et liquida bruyamment son large coffee avant de se lever.

- Tu t'en doutes, Francisco, il sera de plus en plus difficile pour tout le monde, de garder le cap, désormais.

Il redressa le col de son vieux blouson d'aviateur et se peigna la barbe de la main.

- Alors je te souhaite bonne chance, Francisco, et bon courage. Que l'amour, l'attention et l'inspiration restent tes seuls guides.

- Bonne route, Zampano.

Il traversa l'avenue à grandes enjambées et disparut.

Je fis de même quelques minutes plus tard.

 

 

Sincèrement.

J'aimerais beaucoup terminer  cet épisode sur une note un peu plus confortable.

Aussi je précise:

Depuis que je me suis lancé à rédiger cet épisode, je me bagarre avec un sentiment persistant. Pour tout dire, il me hante depuis le jour de ma rencontre avec Zampano. Le sentiment d'être au courant d'un truc. Un truc impossible à formuler. La possibilité qu'il m'ait, entre ses mots, soufflé le scénario d'une issue magique à ce gigantesque bordel. 

 

Laissons filer l'été.!

Et ce soir est un beau soir.

Tant que l'on peut trouver l'élan de remplir une valise rien n'est perdu.

Nous nous apprêtons, Puce et moi, à prendre le large.

Aussi

oublions les sinistres tambours et la montée de la Sombre Marée.

Encaissons comme nous pouvons la disparition du gros lapin.

Respirons d'autres paysages

Habillons-nous d'une foule d'images neuves

Ailleurs ou près de chez vous,  chaussez-vous d'herbes, de pierres, de sable ou d'eau

Rejoignons notre Sud intérieur et fabriquons-nous des solutions pour l'hiver

Apprenons à reconnaitre les pépites qui brillent dans le fort du courant.

Cessons de nous abîmer

Séchons nos larmes

Tenons nous la main

Avançons

Ce n'est pas stupide comme idée

parce que ce n'est pas fini !

Ensuite

cliquer sur "mettre en ligne"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                       

 

 

                                       

Épisode 8

 

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Sommaire saison 3 

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03/08/2018
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