LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

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LE CRI DU CHAMEAU saison 3 épisode 10

 

Quitte à rester un peu plus longtemps,
autant que ce soit en musique

 

 

 

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Droit sur son cheval Red Kiss Buffalo se tient immobile face au grand corps blanc de la vallée.

Les yeux clos, il écoute le vent soudain rhabiller le silence.

Sur ses lèvres et son visage de noble vieillard vient mourir la fine neige du soir.

à 87 printemps, Red Kiss est le dernier chasseur de sa génération à tenir en selle des journées entières. La plupart du temps ses souvenirs de chasse avec Willard sculptent l'attente mais d'autres images l'occupent en cette heure.

 

Il se trouve à l'endroit précis ou s'était effacé, jadis, un nouveau Roi Souffleur. Le jeune homme que le guerrier avait élevé avec bienveillance sous la garde silencieuse de Fanny-Trois-Dents avait ce jour-là pris sa décision et fait le grand saut. Un choix noble et courageux. Rejoindre une dimension en souffrance. Une dimension où sa tâche de consolation et d'inspiration était et reste aujourd'hui incommensurable. Une dimension où le factice et le virtuel prenaient chaque jour le pas sur la matière et la saine sueur du monde. Une basse dimension où le temps et la solitude pesaient plus lourd.

Plus lourd qu'ici, au coeur des vastes étendues sauvages du monde dangereux mais libre de Red Kiss. Une dimension  d'où la magie s'était retirée. Où les nuits les plus profondes abritaient plus de drames et de violences que de mystères. Une dimension grise et étroite où la lune ne luisait plus pour grand monde. Un monde malade et aveugle où l'inspiration était à l'agonie.

Le monde du Roi-Souffleur.

Là où les êtres ne savaient plus se rejoindre.

 

Là ou le monde perdait son souffle.

 

Dès son réveil

Ce matin

Red Kiss a perçu l'appel.

L'appel d'une âme ancienne en peine.

Celui de l'enfant qu'il avait autrefois sauvé des ogres.

 

Ainsi se tient à présent le vieux guerrier.

Droit sur son cheval.

Au dessus de la vallée brumeuse

Face à la porte d'un autre monde.

Attendant le retour d'un roi en naufrage.

 

 

 

 

 

Extrait du journal de Little Billy, Folk Singer imaginaire

 

 

C'est comme pour l'océan.

De l'autre côté des arbres, tout est ouvert.

J'entends grignoter les bêtes et mugir les ramures.

Comme tous les oubliés.

Mais il suffirait d'un bond de géant pour filer conquérir ce monde ridicule

Non.

Je n'ai plus cette fringale.

Je me sens bien ici.

 

Ici, je peux entendre la moindre de mes pensées.

Pourquoi s'envolerait mon chapeau aux fleurs vives,

À quoi bon déchirer le fin duvet de mes rêveries sous l'obscur de leurs boulevards et l'ombre de leurs noirs parapluies?

Retirer tout le gras de mes envies, me débarrasser de la terre et de mes feuilles pour aller cramer à sec sous leurs enseignes, leurs villes étirées à en crever avec, pour souffler, deux trois vaines prières, de jolis images, des projets soldés et quelques misérables chansons au fond des poches?

 

J'ai faim, je chasse, je mange, je dors, je compose et je ne crains pas le silence.

Ça me va très bien.

Seul et dingue

à l'écoute de toutes les voix des bois.

 

Je marche plusieurs heures par jour.

Je trace des figures dans l'herbe comme le faisaient les premiers hommes.

Je marche au pas de celui qui marche.

Je suis là.

Je suis.

 

Ce matin la pluie a creusé des coeurs au milieu de la clairière.

J'ai senti les mains des fées dessiner la fraicheur sur mon corps en réveil.

J'ai bu dans la cuillière d'une feuille.

C'est le chant d'un oiseau

Le chant d'un oiseau dont le nom m'échappe qui m'a réveillé.

La pluie, ce matin a redessiné l'idée de mon coeur et de ma tête malade.

Se déroule tout seul mon poème pour Annie.

Il est là. Tout prêt.

L'aigle Royal nichant dans ma tête qui, bientôt s'envolera lui chanter

Et faire ça bien comme il faut.

Pour toi.

Annie.

Le visage d'avant, d'aujourd'hui et de toujours.

 

Si elle savait

le conte que j'ai en tête.

Un Roi et ses anges allant se perdre en croyant sauver le monde.

Plus loin toujours le combat des Justes

Plus loin toujours le combat des nobles.

C'est un conte libre que je n'écrirai pas.

Un autre que moi le fera.

Plus tard.

Ce conte, je le laisse libre de voler là où bon lui semble

Qu'il vieillisse et grandisse un peu.

Ma musique, seule, le portera.

Il n'aura ni début ni fin pour mieux se fondre au chaos du monde et laisser entrer la lumière contre l'ombre. Il sera plein.

Entier.

Et solide parce que personne ne pourra l'acheter.

Il sera posé là, ignoré de tous et perdu au milieu de tout.

Une oeuvre de forêt

entre ombres et lumières

où dansera la souple rumeur des soupirs et du vent.

Un conte pour les promeneurs égarés que nous redevenons tous à la fin.

Les uns s'y perdront

d'autres y reprendront leur respiration

tous n'y entreront que par hasard.

Un conte pour les curieux

Un de ces contes d'après les temps magiques

aux chevaliers sans blasons ni armures

Uniquement réservé aux têtes ouvertes fuyant le reste

La politique des mots, la morale de ceux qui ne brûleront jamais, le protocole des imbéciles et leurs maisons de torture en bord de piste. 

Un conte pour échapper un moment à cette interminable caravane où tout le monde se presse, hurle et s'agite. Un conte à chanter doucement

Un conte anonyme

Piétiné par l'indifférente et stupide procession des sans-boussoles au milieu du désert.

 

Mais je suis là

à préparer le feu.

En attendant le soir.

Préparer puis délivrer un feu est un moment délicieux.

L'écouter nous débarrasse de toute la crasse des jours.

C'est une odeur que l'on peut découper

Une odeur épaisse et rassurante.

Une odeur en manteau

la véritable odeur de l'hiver.

Merveilleux conteur.

Parce que seul le feu sait peupler le froid.

Il est l'éclair qui sauve et réveille le géant de la terre.

La récompense du tonnerre radieux dans les solitudes glacées.

 

Surtout, ne pas oublier de continuer comme ça jusqu'à ce que mort s'en suive.

Jusqu'à ce qu'un chasseur à la barbe de Père Noël découvre dans un chouette paquet d'années les restes de Little Billy perdus au milieu de son manteau de trappeur dans la cabane de son paternel.

Le tout de cette vie minuscule bien étalé au pied de la cheminée.

Ça pourrait être assez drôle.

Toujours plus loin dans les bois me vient cette idée d'un ange qui ne veut pas traverser l'océan.

 

 

 

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Le bon docteur Despages fait son entrée dans la chambre où repose un corps abandonné dans un costume de lapin aux plis fatigués.

Dehors le vent, la pluie et la nuit s'appuient aux carreaux

La maison forestière tout entière grince comme un vieux rafiot.

- Je vois qu'il continue de maigrir...

Denise acquiesçe avec un grand sourire désolé.

Le docteur fait le tour du lit, dépose sa sacoche sur la chaise au chevet et se penche au dessus du visage éteint de Bernard. Il craque une allumette.

- Je sais que tu m'entends, mon petit Bernard. Ne quitte pas la flamme des yeux jusqu'à ce qu'elle s"éteigne. Plonge dans la lumière. Comme ça. Bravo, mon vieux. Allez, encore une fois.

Il craque une seconde allumette.

Dans la lueur fragile de la flamme, le visage osseux du bon docteur au tendre regard le fait ressembler à celui d'un vampire bienveillant venant rapporter le sang dérobé.

- C'est bien, continue, champion. Laisse ton esprit s'avancer vers la lumière. Laisse aller.

Il va jusqu'à se brûler les doigts puis ouvre sa sacoche, s'empare de son stéthoscope et ausculte longuement et silencieusement le gros lapin dont seule la respiration rappelle la présence.

- Je crois qu'il se rapproche. Il se bat comme un diable. L'esprit est encore loin mais le corps s'accroche.

Denise s'assoit sur le bord du lit.

- Il a encore hurlé pendant de longues minutes ce matin. C'était épouvantable.

- Il se bat ...

- Je lui ai tenu les mains très fort, comme vous me l'avez demandé.

- Oui c'est important que vous soyez ferme dans vos gestes. Que son esprit ne puisse faire autrement que de se raccrocher à vous. Il faut aussi continuer à lui parler.

- Je lui fait la lecture, répond Denise en indiquant l'ouvrage posé sur la table, au pied de la lampe.

- "Artères"...Henri Barto. Je ne connais pas. Fait le docteur Despages en parcourant l'ouvrage.

- C'est un auteur qui a séjourné ici, précisa Denise. Un court roman un peu salé. Tout ce qu'il aime.

- Vous faites bien. Le cul et la littérature peuvent sauver.

Il prend une profonde inspiration et se lève.

- La compote est bien passée?
- Un peu, hier soir. Mais depuis, plus rien. Je lui ai donné à boire à la paille cet après-midi.

-  Il a bu. C'est bien... Son coeur tient bon. Il faut continuer.

Il sort de sa sacoche un flacon au liquide bleu pâle.

- Déposez chaque soir quelque gouttes sur sa langue.

- Qu'est ce que c'est ?

Le docteur observe le flacon avec un sourire.

- Disons, pour faire simple, que c'est du concentré d'espoir.

Denise repose doucement sa tête sur l'épaule du bon docteur Despages qui referme ses bras sur elle.

La maison ne grinçe plus.

Probable que la tempête s'éloigne.

Écroulé dans le fauteuil du couloir, les jambes étalées, Zampano roupille.

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

11ème et dernier épisode de la saison 3 

 

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Sommaire saison 3

Sommaire général

 



29/10/2018
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